Les travaux de recherche s’inscrivent dans le champ de la Géographie sociale. Cette approche de la Géographie interroge les pratiques et les représentations des acteurs sociaux pour interpréter les formes de structuration de l’espace. Elle prend en compte les formes héritées du passé, plus ou moins transformées, abandonnées ou réutilisées par les sociétés contemporaines, elle intègre l’action passée des acteurs sociaux dans sa lecture du présent. Elle s’attache à identifier les formes produites par la diffusion de l’innovation dans les contextes de changement politique et de changement socio-économique. Elle considère la pluralité des configurations spatiales qui se structurent et s’emboîtent à des échelles multiples. Les travaux réalisés souhaitent contribuer à l’étude des territorialités, considérant l’espace à la fois dans sa dimension matérielle et symbolique comme le produit du jeu des acteurs sociaux. De manière rétrospective et synthétique, ces travaux s’articulent autour trois axes principaux :

  1. La transformation postsocialiste des territoires ruraux en Allemagne orientale et en Europe centrale
  2. Action publique et développement des territoires locaux
  3. Vulnérabilité des agricultures méditerranéennes au changement climatique

 

 

La transformation postsocialiste des territoires ruraux en Allemagne orientale et en Europe centrale

            Le premier concerne l’étude de la transformation postsocialiste dans les territoires ruraux en Allemagne orientale et en Europe centrale à la suite de l’ouverture du rideau de fer et du changement systémique de 1989. Trois dynamiques conjointes ont fait l’objet d’analyses : la sortie du collectivisme par la privatisation des structures d’exploitation agricole et la restauration de l’autonomie communale ; le changement fonctionnel des espaces ruraux précipité par la crise et la marginalisation de l’agriculture dans les économies locales ; le transfert de politiques publiques d’aménagement du territoire favorisant les initiatives locales et les démarches endogènes de développement territorial.

            La lecture géographique du processus de transformation et de diffusion des formes nouvelles de structuration territoriale s’est fondée sur un choix d’interprétation analytique. Les sciences sociales ont produit deux hypothèses principales d’interprétation. La première évoque les insuffisances et les inégalités de l’effort de rattrapage requis par le changement de système. Elle se fonde sur le paradigme de la transition et conçoit le changement comme une succession d’étapes dans un mouvement conduisant à un état final déterminé a priori. Les écarts à la norme ou au modèle proviennent des éléments de blocage et d’inertie légués par l’ancien régime et le système socialiste.

            La seconde interprétation lit la transformation territoriale comme une trajectoire d’évolution sensible à la dépendance au passé comme au contexte de réception. Le paradigme de la path dependence ne voit pas l’héritage socialiste comme une entrave à l’intégration dans le système libéral mais comme une donnée participant au processus de transformation et favorisant la naissance de formes sociales hybrides et de formes spatiales composites. Il permet même d’envisager la lecture du passé pour expliquer le présent, une lecture de la longue durée qui conforte la démarche scientifique d’historicisation mais réfute le déterminisme de la période socialiste.

            Cette même démarche met l’accent sur les effets de contexte géographique, sur le rôle que jouent les structures spatiales existantes à l’échelle locale et régionale dans le processus de transformation territoriale au moment où le changement de système se produit. L’étude du post-socialisme dans les territoires ruraux des nouveaux Länder allemands rejoint ici une voie de recherche explorée par d’autres travaux de géographie sociale sur l’Europe centrale et orientale, qui dans la démarche d’analyse distinguent le temps des systèmes sociaux et le temps des structures spatiales et tentent d’identifier les mécanismes de leur articulation pour expliquer la différenciation territoriale. Ce postulat conduit à considérer que la transformation postsocialiste des territoires ruraux emprunte des trajectoires d’évolution différenciées.

 

Action publique et développement des territoires locaux

            Les travaux portent sur la question du développement territorial. Ils mobilisent des concepts et des méthodes empruntés dans le champ des sciences sociales (sciences politiques, sciences économiques, sociologie) pour concevoir une analyse géographique des formes nouvelles de coordination de l’action publique en faveur du développement des territoires locaux en Europe. Ils s’intéressent aux formes de la territorialisation de l’action publique : la formation de partenariats d’acteurs d’origines diverses, la délimitation de nouveaux territoires d’intervention et la construction de projets collectifs de valorisation des ressources locales.

            Pour étudier les mécanismes du développement territorial, plusieurs pistes sont explorées :

            - caractériser les modes d’insertion et d’articulation des économies locales à l’économie globale en identifiant, par les méthodes de l’analyse statistique multivariée, des trajectoires d’évolution territoriale.

            - saisir les effets spatiaux de l’application de la gouvernance multi-niveaux en étudiant le mode de pilotage et les formes de contractualisation des démarches endogènes de développement territorial. Par le moyen de l’analyse textuelle, on analyse ici les dispositifs de politique publique en circulation dans l’Union européenne (programme européen LEADER ; approches territoriales intégrées) et leur transcription à l’échelle locale dans les documents programmatiques (stratégies de développement) rédigés par les acteurs locaux.

            - interpréter la formation, la composition et le mode de fonctionnement des partenariats d’acteurs impliqués dans l’application des dispositifs de développement territorial (comme les groupes d’action locale du programme européen LEADER par exemple). Les méthodes de la sociologie structurale et de l’analyse des réseaux sociaux sont mobilisées pour comprendre les formes différenciées de pratique des principes de la gouvernance locale.

            - identifier les mécanismes de construction et de valorisation des ressources locales. On emprunte ici en partie au courant de l’économie territoriale pour établir des typologies de ressources et décrire leurs trajectoires de valorisation au sein des économies locales.

            Ces travaux caractérisent et cartographient des modes différenciés de coordination de l’action locale de développement territorial. Ils mesurent la diversité des formes et des degrés d’innovation territoriale. Ils constatent que le transfert des politiques de développement rural au sein des pays de l’Union européenne conduit à la convergence des pratiques de gestion du développement socio-économique dans les zones rurales. Mais les études de cas montrent que les formes d’implication des acteurs locaux sont diverses, que l’interprétation des politiques publiques s’opère dans le cadre d’un processus territorialisé. Considérée comme une construction sociale, l’innovation territoriale est donc sensible aux effets de contextes géographiques qui différencient les formes de mise en réseau et de coordination des acteurs impliqués dans le développement économique et la gestion des territoires.

           

Vulnérabilité des agricultures méditerranéennes au changement climatique

            Les travaux contribuent à l’analyse de la vulnérabilité des exploitants agricoles confrontés au risque de diminution de la ressource en eau en contexte de changement climatique.

            Les études climatiques diagnostiquent à moyen et à long terme la diminution des volumes de précipitations pluvieuses et neigeuses, ainsi que l’augmentation des moyennes de températures et du nombre annuel de jours chauds. Ces tendances ombro-thermiques modifient le régime hydrologique des cours d’eau, contractent les débits d’étiage, réduisent la recharge des nappes alluviales et accentuent le stress hydrique de la biocénose. Elles nécessitent en conséquence une augmentation des prélèvements en eau agricole alors que la pression globale sur la ressource tend à s’accroître en raison de la croissance démographique, de la progression de l’urbanisation et de la diversification des usages, réduisant de fait la légitimité des usages agricoles au regard des autres usages de l’eau. Dans le même temps, l’évolution des pratiques d’irrigation a modifié les formes de prélèvement de la ressource. L’abandon des techniques gravitaires pour la mise sous pression délaisse le réseau de canaux dérivant les eaux superficielles au profit des forages dans les nappes souterraines. La diversification des usages et la modernisation des techniques d’irrigation sont soumises à une gestion institutionnelle de la ressource qui impose des normes contraignantes de régulation et de contrôle des prélèvements (maintien des débits d’étiage, immatriculation des forages individuels), parfois en opposition avec la gestion traditionnelle de la ressource en eau agricole qui s’est progressivement développée au cours d’une histoire millénaire de l’irrigation dans les régions méditerranéennes.

            Cette évolution questionne la vulnérabilité des agriculteurs, considérée comme la capacité sociale à construire des stratégies d’adaptation pour surmonter les situations de crise et rétablir le fonctionnement socio-économique de l’exploitation. Le but de l’étude est alors de caractériser les stratégies d’adaptation développées par des agriculteurs pour répondre à une situation de vulnérabilité provoquée par un aléa de diminution de la disponibilité de la ressource en eau. L’approche géographique s’appuie ici sur l’observation localisée de l’évolution des pratiques agraires.

L’étude se focalise dans un premier temps sur un ensemble de petites régions agricoles du Roussillon, délimité par le bassin versant de la Têt, et caractérisé par des formes originales d’organisation du système agraire et de mobilisation de l’eau agricole. Dans une perspective comparative, d’autres autres terrains sont prospectés dans le bassin méditerranéen (Grèce, Tunisie).

            L’analyse des stratégies se fonde sur la double hypothèse que d’une part, les préoccupations de rentabilité économique de l’activité prennent le pas sur la durabilité de la gestion de la ressource, ce qui peut aggraver la vulnérabilité des exploitations face à l’aléa, mais que d’autre part, l’individualisation des pratiques agraires favorise la recherche d’alternatives, qui peuvent conduire à une réduction des situations de vulnérabilité.

            Les résultats ont été obtenus par le moyen du traitement logiciel de données qualitatives, venu étayer la lecture et l’interprétation de l’information monographique. Ils montrent que les situations de vulnérabilité agricole sont en partie réduites par des initiatives individuelles qui modifient les pratiques agraires à la suite d’une exposition à l’aléa climatique. L’analyse des trajectoires socio-économiques distingue deux types de logique dans la construction des stratégies d’adaptation, des logiques palliatives et des logiques adaptatives. Les secondes se présentent, au contraire des premières, comme des stratégies territorialisées, qui conçoivent les changements de pratiques agraires en fonction des formes d’ancrage de l’exploitation agricole dans le territoire local. Ces dernières impliquent alors une évolution des stratégies collectives et institutionnelles de valorisation des productions et de gouvernance de l’eau. Dans une intention prospective, l’enquête qualitative peut être mobilisée pour étudier la construction de stratégies collectives d’adaptation.

            Les travaux sont réalisés en contexte interdisciplinaire en coopération avec des collègues d’un laboratoire de sciences exactes et expérimentales, l’UMR 5110 CEFREM (Centre de Formation et de Recherche sur les Environnements Méditerranéens) de l’UPVD.

 

Enjeux théoriques et méthodologiques de la démarche de recherche

            Ces orientations et ces pratiques de recherche soulèvent deux enjeux majeurs d’un point de vue théorique et méthodologique. Le premier renvoie aux exigences du comparatisme : d’une part, le recours à l’analyse statistique de données interroge la pertinence des catégories et des zonages mobilisés et d’autre part le recours à la méthode empirique (observatoires locaux et enquêtes par questionnaires et entretiens) interroge le choix et la représentativité des études de cas. Le second concerne la pratique de l’interdisciplinarité : les emprunts conceptuels et méthodologiques aux sciences politiques, aux sciences économiques et à la sociologie contribuent à renforcer la pertinence de l’analyse géographique en interrogeant les formes d’interaction entre la structure sociale et la structure spatiale des systèmes territoriaux.